Critique : La Passion du Christ, de Mel Gibson

Film religieux ultra-violent, La Passion du Christ de Mel Gibson a scandalisé, suscité des accusations d’antisémitisme, et exalté une grande partie de son public. Mais c’est surtout un navet. Explication.

Après des vocalises, un bruit de tonnerre et une petite citation biblique, le film commence : nous voyons le Christ dans un jardin d’oliviers, la nuit. Il tremble. A côté de lui, les apôtres roupillent ferme. Il les réveille, les engueule, leur dit d’attendre où ils sont et de prier, puis s’éloigne. Un cri de corbeau fait lever la tête aux apôtres ainsi qu’aux grands prêtres juifs (les Pharisiens) dans le plan suivant. Judas a trahi pour trente deniers. Un des prêtres lui lance une bourse dont la caméra suit le vol au ralenti.

C’est le poids du péché, voyez-vous. En plus le renégat est obligé de s’agenouiller pour ramasser les pièces. Ce film n’est pas vraiment subtil.

Précisons que les dialogues du film sont en araméen ou en latin. Je n’en vois pas bien l’intérêt (d’autant que ce n’est pas très fidèle à la réalité historique, puisqu’on devrait aussi entendre du grec). On empêche les acteurs de donner le meilleur d’eux-mêmes pour un bénéfice qui tient du gadget. Mais passons.

Retour au jardin. Jésus est à genoux. Il gémit et demande à Dieu de le sauver « des pièges qu’ils lui ont tendu ». Il se penche, face contre terre. Quand il redresse la tête, une silhouette sinistre se trouve derrière lui ; c’est évidemment Lucifer, qui vient lui dire que le sacrifice universel, ce n’est tout de même pas très réaliste.

J’ouvre une parenthèse. Mel Gibson a cru bon de mélanger deux motifs bibliques : celui de l’agonie au jardin, où le Christ prie non loin de ses disciples assoupis, et celui de la tentation, où le Diable, déguisé, essaie de fourvoyer Jésus alors qu’il s’est retiré dans le désert. Mais si le Malin du Nouveau Testament proposait notamment à Jésus de régner sur le monde entier, celui-là n’a qu’un discours vaseux à offrir. Admirable Gibson qui parvient à chier sur deux scènes bibliques à la fois.

Pour ajouter à l’absurde, un serpent sort de l’habit du Démon et se glisse vers Jésus, qui, angoissé, l’ignore et invoque Dieu le Père. Sois rassuré, lecteur, cette faiblesse n’est que temporaire ! Car le Christ se relève ! Le petit sourire en coin de Lucifer s’efface, et le Sauveur écrase la vile bête d’un ferme coup de talon. Grandiose.

Les soldats juifs, envoyés par les Pharisiens, s’avancent alors. Ils disent chercher Jésus de Nazareth. Celui-ci se désigne. Judas s’approche de lui et l’embrasse, le désignant ainsi aux soudards. Une escarmouche a lieu (au ralenti bien sûr) entre soldats et disciples. Jésus s’affaisse de nouveau. Pierre tranche l’oreille d’un soldat, Jésus le soigne, les soldats s’approchent de lui.

Fin du ralenti. Les soldats ne s’étonnent pas trop du miracle et emmènent Jésus. Pour le plaisir, ils lui filent sur le chemin quelques beignes, qui virent au tabassage en règle. Jésus fait une chute de quelques mètres, et voit Judas qui le considère, rongé par le remords. Quand soudain !

La créature disparaît aussi sec. C’est la manière de Gibson de représenter le remords. Essayez de vous y habituer.

Pendant ce temps, la troupe arrive au temple. Jésus voit un type qui bricole. Flashback. Jésus fabrique une table. Sa maman s’étonne : le meuble est haut. Mais Jésus lui dit qu’il est destiné à un riche qui aime les grandes tables avec de grandes chaises. Il s’assied dans le vide, Marie l’imite, et elle livre son verdict : ce ne sera jamais à la mode. Fin du flashback. Jésus est emmené dans le temple.

 

Moi non plus je ne sais pas trop ce que ça vient faire là. Enfin bref. Les Pharisiens l’accusent. Lui qui n’est déjà plus très frais s’explique quand même. Un soldat lui reproche de s’adresser au grand prêtre avec arrogance, et — ça ne peut pas faire de mal — lui distribue un pain. Puis les prêtres entendent des témoins. Un homme affirme que le Christ soigne à l’aide de démons et invoque des démons à l’aide d’autres démons. L’assistance rit de bon cœur. Ne me demandez pas pourquoi ; probablement les nerfs. Autres accusations. Un grand prêtre qui a l’impression d’entendre des conneries depuis le début s’insurge et ses camarades le chassent. Un autre proteste lui aussi. Même traitement. Le grand prêtre Caïphe demande à la cantonade quel est son verdict.

La mort bien sûr !

Caïphe gifle Jésus, lui crache à la gueule, et c’est parti pour une tournée générale de châtaignes. (Je vous rassure, c’est moins con dans la Bible.) L’apôtre Pierre est pris à parti par la foule et prétend ne pas connaître Jésus (c’est le reniement de saint Pierre). Gibson qui ne manque pas une occasion d’être un gros lourd lance un flashback où Pierre jure au fils de Dieu son éternelle fidélité.

Dans une autre pièce du temple, Judas pris de remords essaie d’annuler la transaction mais l’administration ne veut rien entendre . Il sort et s’adosse à un mur, désespéré. Des enfants viennent l’aider, Il les traite de petits satans, eux glapissent qu’il est maudit, et alors là……

Au lever du soleil, il est toujours harcelé par les garnements, cette fois accompagné de tous leurs copains, qui se mettent à le molester sous les yeux de Lucifer. Le traître se recroqueville, ferme les yeux un moment et les rouvre. Il est seul ! Voyant une charogne, il pleure, se pend et quitte le film.

Mais Jésus, qui doit racheter les péchés de l’humanité, en a encore pour une bonne heure et demie. Les prêtres l’amènent devant le procurator Ponce Pilate, et dans leur fourberie essaient de convaincre l’occupant de se salir les mains à leur place. Au cours de la discussion, Jésus regarde distraitement une colombe de son œil non poché. Pilate qui en a marre de ce trou du cul du monde et de ces pouilleux commence à engueuler les Pharisiens. Comme ils lui affirment que Jésus se prétend le roi des Juifs, le gouverneur le fait venir dans son palais et l’interroge. Sur fond de douce vocalises, Jésus lui explique que son royaume n’est pas de ce monde. Pilate ressort et dit à la foule qu’il ne trouve rien à lui reprocher. Que le roi Hérode le juge !

Hérode, dérangé lors de sa bacchanale permanente et n’ayant rien à branler de tout ça, pose quelques questions idiotes à Jésus (« Peux-tu faire un petit miracle pour moi ? ») et décide qu’il n’est pas coupable.

Pendant ce temps, Pilate, troublé, demande à sa femme si elle sait reconnaître la vérité quand elle est énoncée, puis passe à une considération plus pragmatique : Caïphe provoquera une rébellion si Jésus n’est pas condamné, et les fidèles de Jésus le feront dans le cas contraire. Quand Jésus est ramené devant lui, il ruse : il rappelle à la foule qu’il gracie un condamné tous les ans, et lui donne à choisir entre Jésus et un meurtrier, Barabbas. Devinez qui est choisi ? Pilate demande alors à la foule quel sort elle veut qu’on inflige à Jésus. « Crucifiez-le ! » Se reprochant sans doute cette question bête, le gouverneur refuse et proclame que Jésus sera châtié. Il ordonne à son subalterne de veiller à ce que la punition soit sévère mais que le condamné y survive.

Nous voici à la scène bien connue de la flagellation. Jésus est conduit dans une cour militaire où il est accueilli par des grognements de joie.

La flagellation commence. Les légionnaires fouettent joyeusement Jésus à la baguette, s’interrompent et décident de varier les plaisirs avec des outils assez baroques. L’un se saisit d’une sorte de chat à neuf queues pourvu de pointes en métal de cinq centimètres, l’essaie sur la table devant laquelle son chef est assis, et en arrache un bout de bois.

 Ça continue et vire à la leçon d’anatomie. Le légionnaire au fouet amélioré fait voler un joli lambeau de chair, découvrant trois côtes, et arrose son chef dans l’hilarité générale. Etc. Alors que Jésus commence à ressembler à la pièce de viande d’un kebab (je vous épargne les photos, imaginez un film d’horreur assez sale), le chef donne l’ordre d’arrêter la punition. Mais non ! Ça continue, tandis qu’une femme déambule au sein de l’assistance, un enfant énorme dans les bras. Un gros plan révèle que l’enfant est monstrueux et que la mère, c’est Lucifer. Perversion du motif de la Vierge à l’enfant.

On n’en est encore qu’à la moitié du film. Je ne sais pas si je rachète des péchés mais en tout cas je souffre pour vous.

Le subordonné de Pilate arrive après un flashback inutile et pousse une gueulante : la moitié de la cour est barbouillée de sang alors que la punition n’était pas censée être mortelle. Lui aussi a du mal à comprendre le film. (Inexplicablement, Jésus est encore vivant ; on va mettre ça sur le compte de quelque miracle absurde.) Après avoir pris un air penaud devant leur centurion, les Romains s’esclaffent de plus belle en affublant Jésus d’une couronne d’épines dont ils enfoncent les pointes dans son crâne.

Nouveau flashback : Jésus s’avance d’un pas qui fait trembler le sol et tend la main à Marie-Madeleine, la prostituée qu’on allait mettre à mort. Fin du flashback.

« Ecce homo » : Pilate présente à la foule Jésus à moitié mort. C’est raté : les pharisiens et la populace réclament toujours la crucifixion, et on assiste à un début d’émeute. Un légionnaire tend à Pilate un récipient rempli d’eau et…

…les disciples de Jésus se lavent les mains avant de manger. C’est la cène. Après cet inutile flashback de trente secondes…

…Pilate se lave les mains, montrant ainsi qu’il est innocent de ce qui arrivera.

Jésus est emmené pour être crucifié. Hagard, il porte sa croix au milieu de la foule enragé et…

…se revoit entrant à Jérusalem parmi une foule en liesse. Après ce flashback de quelques secondes…

…il continue à porter sa croix, péniblement, reçoit un coup, chute comme un cabotin, se relève. La Vierge s’approche de lui, le regarde tomber une seconde fois, et…

…un Jésus de trois ans fait une chute toute bête, à l’effroi de sa mère qui s’élance vers lui sur fond de vocalises. Jésus marmot est consolé par un câlin, Jésus adulte se relève bravement.

Vous savez, j’ai l’impression que ces flashbacks intempestifs ont une fonction analogue à celle des scènes intermédiaires dans les films pornos : reposer et soulager le spectateur. Portement de croix, coups, râles. Chutes, coups, rires de soldats. Ad lib.

Des femmes anonymes ont pitié de Jésus, le Juif désigné pour porter la croix à sa place (Simon de Cyrène) s’oppose à la cruauté des soldats, et une jeune fille (Véronique) vient en assistance au Christ. Certains en déduisent que Gibson n’est pas antisémite. Moi, je ne me prononce pas. Je suis surtout choqué du crime contre l’art auquel j’assiste.

Le sommet de la colline du Calvaire (où aura lieu la crucifixion) est en vue, et Gibson croit intelligent de montrer dans un énième flashback le sermon sur la montagne, durant lequel Jésus affirme qu’il faut aimer ses ennemis (je crois que le rapport est que dans les deux scènes il y a une colline).

Jésus se dresse face au soleil. Flashback : la cène, de nouveau.

Jésus agonise. Bon, il agonise depuis un moment, mais là, encore plus. On le crucifie (enfin !) et on lui inflige au ralenti des tourments divers. La croix se dresse et les vocalises s’excitent.

Pendant ce temps, le flashback de la cène reprend par intermittence. C’est idiot mais plus supportable que l’improbable amas de chair sanguinolent que Gibson donne à voir à son public.

Voici maintenant la scène des deux larrons : le crucifié qui est à gauche du Christ se repent et sera sauvé ; l’autre, qui est un vrai trou du cul, non. En plus un corbeau lui bouffe les yeux (invention de Mel Gibson).

Une goutte d’eau choit au ralenti, suivie de près par la caméra, et s’écrase bruyamment au sol. Un tremblement de terre se produit : le Christ est mort, ainsi que la Bible le décrit. Ah non, excusez-moi, il est encore vivant, de sorte que les soldats effrayés peuvent lui écrabouiller les os à coups de massue. L’un deux, pour hâter son trépas, lui perce le flanc de sa lance (en cela, Gibson suit ou plutôt malmène une ancienne tradition chrétienne). De la plaie sort un puissant jet qui asperge tout le monde.

Cette fois, le Christ est bien mort.

Les proches de Jésus le descendent de la croix. Trois jours plus tard, il sort du tombeau dans une musique excitante. Fin !

Est-ce un film passionné ? Oh oui ! Très ! Les nanars les plus épatants viennent de gens qui y croient. Mais celui-là est tout de même pénible. Et son ultra-violence n’a pas de fondement théologique comme certains ont pu le croire : c’est juste que Gibson adore la violence décérébrée.

Messire Nicolas
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1 commentaire sur “Critique : La Passion du Christ, de Mel Gibson”

  1. En effet, dans la scène du jardin des Oliviers, un jardin qui rappelle étrangement celui décrit dans Gn 2,4bss, le Tentateur (disons plus précisément la Tentatrice) nargue Jésus, affirmant l’impossibilité et l’insurmontable difficulté de supporter une souffrance comme celle qu’il s’apprête à affronter. Puis nous voyons un serpent qui émerge de la Tentatrice et qui se dirige vers Jésus. Le serpent associé à la figure de la Tentatrice fait directement allusion à Gn 3,1-24 où la femme donne du fruit à l’homme. Juste pour information le texte de Gn 3,15 parle de la descendance du serpent et de la femme en hostilité l’une par rapport à l’autre. C’est pourquoi Jésus écrase la tête du serpent. Cette allusion conduit à estimer que Gibson souhaite illustrer une certaine interprétation de Gn 3,15 qui met l’accent sur la correspondance entre l’homme et la femme désobéissant à Dieu mais où nous voyons également une préfiguration de Marie et Jésus qui, se soumettant au Père, luttent et triomphent de la Tentatrice et de sa descendance. Le film de Mel Gibson est un travail d’imagination artistique. Il reprend des éléments des récits de la passion de Matthieu, Marc, Luc et Jean mais reste fidèle à la structure fondamentale commune aux quatre récits. Le film est entièrement fidèle au Nouveau Testament, autant qu’une reconstruction imaginative de la passion du Christ peut l’être !
    Il nous aide à saisir quelque chose presque au-delà de notre capacité de compréhension, comme seul le grand art peut le faire. De plus je parlerais plutôt de brutalité que de violence. Le Christ est traité de manière brutale, essentiellement par les soldats romains. Mais il n’y a pas de violence gratuite. Nous parlons d’un film bien sûr mais Mel Gibson a clairement été influencé par la représentation des souffrances du Christ dans la peinture occidentale. Mel Gibson veut nous montrer ce que beaucoup d’artistes ne font que suggérer. Il serait bien de connaître le nouveau testament et la genèse avant de faire l’analyse ainsi qu’une critique.

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